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JUIFS ET ARMÉNIENS, MÊME BARBARIE

L’imbroglio pour une reconnaissance d’un génocide similaire à la Shoa

S’adressant aux Nations unies à New York lors d’une Journée commémorant l’Holocauste, le président d’Israël Reuven Rivlin a consacré une grande partie de son discours au sort des Arméniens, qui ont été tués par centaines de milliers entre 1915 et 1923. Rivlin a parlé de « cent ans d’hésitation et le déni » et a souligné qu’à l’époque, personne dans la Terre d’Israël n’avait nié que le massacre ait eu lieu : « Les habitants de Jérusalem, mes parents et les membres de ma famille, ont vu les réfugiés arméniens qui arrivent par milliers – affamés, pitoyables survivants de calamité. A Jérusalem, ils ont trouvé refuge et leurs descendants continuent à y vivre jusqu’à ce jour. »Lors de son discours, il a prononcé le mot « génocide » neuf fois – mais jamais dans le contexte de ce qui était arrivé aux Arméniens. Ou bien l’a-t-il fait et une mauvaise interprétation de l’hébreu créerait une confusion ? Pour certains, le choix des mots était un intelligent dispositif rhétorique par lequel il a élégamment évité un piège diplomatique vu qu’Israël n’a jamais reconnu officiellement le génocide arménien. Rivlin est pourtant connu comme l’un des plus fervents défenseurs de la reconnaissance sans équivoque du génocide arménien : « Il est de mon devoir en tant que Juif et Israélien de reconnaître les tragédies des autres peuples. Les considérations diplomatiques, aussi importantes soient-elles, ne nous permettent pas de nier une catastrophe vécue par un autre peuple. » Certes, le président qu’il est devenu entre-temps a évité de prononcer le mot génocide, mais il a donné de l’importance au massacre des Arméniens lors de son discours à l’ONU, en ayant suggéré que le prophète Jérémie aurait pleuré pour les Arméniens comme il avait pleuré pour le peuple d’Israël.

Certes, le système politique d’Israël impose certaines limitations aux pouvoirs du président, mais selon Israël W. Charny, le Président directeur du Institute on the Holocaust and Genocide : « ce n’est pas une mince affaire lorsque le président d’un pays adopte une position comme celle-ci. C’est une percée et il est tragique qu’elle ne soit pas reconnue comme telle, que ce soit en Israël ou en Arménie. »

Face à cette retenue israélienne, on prend alors conscience que l’écrasante majorité des pays dans le monde refusent de dénommer ce massacre sous l’appellation de génocide. Ces nations négationnistes refusent de se référer officiellement aux événements entre 1915 et 1923, au cours desquels les forces ottomanes ont massacré près de deux millions de citoyens arméniens dans un acte systématiquement planifié de nettoyage ethnique, comme un génocide, par souci de leurs liens avec la Turquie, qui est un membre de l’OTAN et un allié musulman important de nombreux pays occidentaux. La nation israélienne elle-même ne le reconnaît pas officiellement malgré les très fortes pressions d’organisations juives et arméniennes et même d’un nombre important de politiciens israéliens. Le déni permanent d’Israël du génocide arménien a survécu à plusieurs débats à la Knesset même s’il peut être rappelé qu’« Israël et le peuple juif font preuve de solidarité et d’empathie envers le peuple et le gouvernement arménien à la lumière de la profonde tragédie qu’ils ont endurée pendant la Première Guerre mondiale. »

En 2000 pourtant, le ministre israélien de l’Education Yossi Sarid avait annoncé un plan pour placer le génocide arménien dans les programmes d’études de l’histoire en Israël : « Le génocide est un crime contre l’humanité et il n’y a rien de plus horrible et odieux qu’un génocide. Le principal objectif de notre éducation est d’inculquer la sensibilité à l’ « atteinte à l’innocent » fondée sur la seule nationalité. Nous, Juifs, en tant que principales victimes de la haine meurtrière sommes doublement obligés d’être sensibles, de nous identifier aux autres victimes ». Un objectif resté sans effet.

Les gouvernants d’Ankara quand à eux, nient résolument qu’un génocide ait eu lieu sur son sol et s’oppose de manière agressive à tous ceux qui adoptent cette terminologie alors que le pape François a fait référence à l’assassinat en masse des Arméniens comme « le premier génocide du 20e siècle ». La Turquie était furieuse : le souverain pontife avait rejoint « le complot » d’un « front du mal » contre le parti au pouvoir alors même qu’en 2000, le Vatican avait déjà officiellement reconnu le génocide arménien quand le pape Jean Paul II avait dit qu’il était un « prologue aux horreurs qui allaient suivre » évoquant la Shoa dont les juifs furent victimes lors de la seconde guerre mondiale.

Est-ce normal qu’un tel déni puisse encore avoir lieu sous une pression systématique – quasiment physique puisque des journalistes furent même assassinés pour oser en parler – des autorités Turques ? L’ensemble de la communauté internationale est-elle à ce point faible qu’elle ne peut résister à ce genre de pression inacceptable ? Telle est la question qu’il convient de se poser car dans les faits, le génocide arménien a bel et bien eut lieu et servira même d’exemple à Hitler lorsqu’il exécuta le sien à l’égard des juifs. « Qui se souvient des Arméniens ? » répondit-il à l’égard d’une personnalité de son entourage qui l’interrogeait sur une éventuelle réaction internationale face aux discriminations mortifères que subissaient les juifs. N’est-ce pas une leçon qu’il convient de retenir lorsqu’en Tchétchénie, des camps de concentration dignes des nazis naguère sont mis en place contre les homosexuels et que, sous les yeux d’une communauté internationale parfaitement informée, ces victimes ostracisées sont assassinées sans vergogne ?

« Israël doit reconsidérer sa position sur la question de savoir si le temps est venu de reconnaître le fait qu’un génocide arménien s’est produit. En tant que Juifs, nous devons le reconnaître », a déclaré le député travailliste Nahman Shai dans une interview où il est allé jusqu’à qualifier les événements tragiques « d’Holocauste arménien » osant même dire qu’ils étaient « juste comme ce que les nazis ont fait aux Juifs ». Des déclarations qui valurent une réponse lapidaire du pouvoir en place : « Nous considérons cette horrible tragédie et nous nous identifions avec le peuple arménien. » À croire ce déni persistant, reconnaître le génocide d’un autre peuple atténuerait en quelque sorte sa propre histoire tragique. En est-on encore là ? Où alors, craint-on qu’une future aggravation du conflit avec les Palestiniens – eux aussi gravement ostracisés – puisse faire l’objet de comparaisons accablantes pour l’Etat d’Israël ?

Dans tous les cas, d’importantes organisations juives, parmi elles l’Anti-Defamation League et l’Union for Reform Judaism, ont depuis longtemps reconnu le génocide arménien. « En tant que membres d’une nation qui a connu la Shoah et qui combat la négation de l’Holocauste, nous sommes obligés de montrer une sensibilité particulière envers la catastrophe d’un autre peuple », est-il écrit dans une pétition en ligne demandant au gouvernement israélien de reconnaître le génocide arménien. Israël W. Charny espère, à tout le moins, que « les gens qui veulent l’étouffer portent la honte et la responsabilité historique pour étouffer quelque chose qui est absolument de bonne foi, et dont on dispose des preuves évidentes, et qui est un précurseur de la Shoah » ajoutant qu’ « Israël devrait prendre exemple sur l’Arménie qui a commencé à consacrer des ressources importantes à l’étude des autres génocides que le leur. » Israël serait-il égoïste et indifférent aux tragédies des autres gens, comme si les Juifs avaient le monopole de la souffrance ? La tradition juive ne devrait-elle pas être capable de s’étendre à être aussi concerné par les génocides des autres, et pas seulement d’être préoccupé par la realpolitik ?

Il est vrai aussi qu’Israël est un petit pays dans une région hostile qui ne peut pas se permettre de contrarier les quelques alliés qu’il a dans la région. Même des États plus puissants refusent d’employer le terme de génocide, de peur de s’aliéner la Turquie ; Israël sait donc que la reconnaissance du génocide arménien éloignerait toute perspective de réconciliation avec la Turquie. Et l’Arménie est un pays pauvre, en difficulté, un petit pays en guerre contre un Azerbaïdjan, certes sous régime autocrate, mais puissant et florissant. Les efforts visant donc à placer la vérité historique et les considérations morales avant l’opportunisme politique et financier en valent-ils la chandelle ? Pourtant la Knesset, lors de son premier débat sur la reconnaissance du génocide arménien. Il est apparu qu’il y aurait une majorité pour cette reconnaissance, mais la question n’a jamais été soumise aux votes. Un imbroglio de plus dans ce Moyen-Orient en plein chaos.

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